le grand masque jaune

Le Grand Masque Jaune, Stéphane-Alexandre DANI

En 1789, un jeune sous-lieutenant d’à peine vingt ans, dont le destin – il l’ignore encore, mais en rêve sans doute déjà – fera vaciller l’Europe, écrit un curieux petit texte que l’on pourrait qualifier à bien des égards de prophétique : il s’agit du Masque prophète[1] d’un certain Napoléon Bonaparte ! 

Conte oriental, rapide et sans détour, qui ne s’embarrasse d’aucun trait merveilleux pour se précipiter dans l’horreur par la cruauté dont le héros, Hakem, fait preuve. « Hakem, d’une haute stature, d’une éloquence mâle et emportée, se disait l’envoyé de Dieu ; il prêchait une morale pure qui plaisait à la multitude ; l’égalité des rangs, des fortunes, était le texte ordinaire de ses sermons. » Comment ne pas voir[2] que Hakem – dont, soit dit en passant, le nom signifie en arabe gouverneur (?) – est la personnification de la Révolution qui est entrain de se concrétiser sous les yeux de Bonaparte ?

Comme toujours, le pur dont on se réclame se transforme, d’une manière ou d’une autre, en pire. « Cependant une maladie cruelle, suite des fatigues de la guerre, vint défigurer le visage du prophète. Ce n’était plus le plus beau des Arabes. Ses traits nobles et sévères, ses yeux grands et pleins de feu étaient défigurés ; Hakem devint aveugle. Ce changement eût pu ralentir l’enthousiasme de ses partisans. Il imagina de porter un masque d’argent. » En habile politique, il parvient à convaincre ses partisans, « qu’il ne portait le masque que pour empêcher les hommes d’être éblouis par la lumière qui sortait de sa figure. » Il se retrouve assiégé par ses ennemis : sous prétexte de les précipiter dans ce piège, il commande à ses troupes de « creuser de larges fossés » remplis de chaux et au bord desquels sont disposés « cuves pleines de liqueurs spiritueuses ». Finalement, lors d’un dernier repas, il empoisonne ses hommes qui « tous meurent avec les mêmes symptômes ». Puis, Hakem traîne leurs corps dans la chaux qui les consume, met le feu aux liqueurs et s’y précipite. »


[1] Napoléon Bonaparte, Le Masque prophète et autres écrits de jeunesse

[2] « Le fait que Napoléon ait, pour écrire Le Masque Prophète, adapté une anecdote du troisième volume de Marigny, n’exclut nullement une lecture actualisante de ce texte relativement court. Au contraire, il est hors de doute que Napoléon a choisi l’histoire raconté par Marigny justement à cause de son potentiel d’actualisation. » Dietmar Rieger, Dynamique sociale et formes littéraires, gnv, 1997

[3] Hakem -
« Hakem son fils lui succéda , & n’eut aucune des vertus de son père. Ce Prince fut au contraire un monstre de folie & d’irréligion. Il lui prit en, fantaisie de se faire passer pour une divinité. » L’Abbé Augier de Marigny, L’Histoire des Arabes, 1750

Antoine Isaac Silvestre de Sacy, Exposé de la religion des druzes : tiré des livres religieux de cette secte, et précédé d’une introduction et de la Vie du khalife Hakem-biamr-Allah, Publié par L’Imprimerie royale, 1838.

Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Publié par Charpentier, 1851

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