Je viens de tomber sur cet article intéressant :
Au XIXe siècle, l’écrivain était engagé ou n’était pas. C’est l’épopée de ces héros de la plume que Michel Winock retrace dans un essai. Retour sur une époque qui a beaucoup à nous apprendre.
En ce temps-là, les intellectuels étaient des princes. Sous la Restauration, le vocable n’existait pas encore, mais les trois grandes figures politiques de l’époque se nommaient Chateaubriand, Benjamin Constant et François Guizot. Le poète, le romancier et l’historien n’appartenaient pas à cette catégorie sociologique, fabriquée ultérieurement, dans le flou des définitions, et baptisée d’un terme assez vague: «les intellectuels».Ceux dont l’historien Michel Winock retrace l’histoire dans les Voix de la liberté * se définissaient à la fois par leurs oeuvres et par leur action politique. En ces temps d’apogée du papier imprimé, le verbe était roi.
Il n’y avait que deux voies pour entrer en politique: la plume ou le sabre. On combinait parfois les deux, les généraux se faisaient mémorialistes et les écrivains guerroyaient volontiers dans un camp ou dans l’autre. Il était alors naturel qu’un écrivain s’engage et participe pleinement à l’activité politique. L’expression «écrivain engagé» était presque un pléonasme.
Chateaubriand incarnait la droite, Benjamin Constant la gauche, et Guizot le centre, précise Michel Winock, en ouvrant sa formidable saga des écrivains engagés dans la France du XIXe siècle. Mais ces écrivains-là n’abdiquaient pas leur liberté, ils ne suivaient pas aveuglément un parti. Le mot engagement a retrouvé, un siècle plus tard, son origine militaire: au XXe siècle, des écrivains iront s’enrôler dans des partis caporalisés, quand leurs aînés du XIXe siècle imaginaient et pensaient la politique. De nos jours, comme dit Régis Debray, «chacun se bagarre pour soi-même, avec les droits de l’homme en alibi». La fête est finie, et le sens historique fait défaut.
Quel chemin ! Le consul Henri Beyle, dit Stendhal, les députés Lamartine, Edgar Quinet ou Victor Hugo, les poètes révolutionnaires Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud, les philosophes Saint-Simon, Fourrier, Proudhon et Auguste Comte, les historiens Michelet et Taine ne se situaient pas, eux, aux marges de la politique, ils ne commentaient pas la presse, ils étaient au coeur de l’action. Et les politiques eux-mêmes étaient des «intellectuels». Ainsi de Tocqueville, qui ne fréquenta pas seulement les allées du pouvoir, de Guizot et de Thiers, qui, chacun à son tour, dirigèrent des gouvernements. Ou de Flora Tristan, qui fonda tout à la fois le féminisme et l’organisation ouvrière. La vie politique du XIXe siècle est, d’abord, le roman des romanciers.
Et quel roman ! Celui de la jeune ouvrière Flora Tristan, fille d’un ami de Simon Bolivar, celui du fils d’un général d’Empire et d’une conspiratrice royaliste, Victor Hugo, qui deviendra l’emblème de la République. Il est difficile de trouver alors un écrivain qui échappe aux passions de l’histoire. Pas même Alexandre Dumas – que Winock néglige ! Le Comte de Monte-Cristo résonne, en son temps, comme un pamphlet contre les pouvoirs bâtis sur le crime et la corruption. En aventurier romantique, Alexandre Dumas précède Malraux, en partant combattre avec Garibaldi.
Tous les écrivains n’eurent pas les mêmes engagements, mais tous laissèrent, dans les romans, les mémoires et les poèmes, leur vision du temps. Marx lui-même reconnaissait qu’il avait «plus appris dans Balzac que dans tous les gros livres des économistes». Il est vrai que la Comédie humaine décrit le triomphe bourgeois avec plus de couleurs que le Capital. Il n’y avait pas, alors, cette étrange schizophrénie entre l’oeuvre et l’action: Eugène Sue et Victor Hugo ont donné aux miséreux bien autre chose que des Restos du coeur. Ils leur ont donné des visages, des noms, des destins. Nous ne sommes pas encore dans cette «France byzantine» que Julien Benda devait dénoncer dans les années 20, dans un monde d’intellectuels coupés du peuple, et qui, de temps à autre, condescendent à quelques apparitions pétitionnaires sur l’agora.
La politique, la littérature et la pensée vivent ensemble, au long d’un siècle qui s’ouvre sur les figures de Chateaubriand, de Constant ou de Guizot et qui s’achèvera sur celles de Zola et de Maurras et sur l’apothéose de Victor Hugo. La frontière entre les hommes politiques et les intellectuels sera tracée beaucoup plus tard. Force est de constater, en lisant les Voix de la liberté, que ce que Michel Winock avait appelé, dans un ouvrage précédent, le Siècle des intellectuels, le XXe siècle, fut en fait celui de leur marginalisation. Au fond, Sartre est un bien médiocre politique en regard de Victor Hugo. Malraux n’est que le barde du général de Gaulle, il ne pèse pas plus sur sa politique que Louis Aragon sur celle du Parti communiste. Tous se sont voulus, peu ou prou, compagnons de route, mais il n’y avait déjà plus de route. Trop tard. La génération suivante, la nôtre, n’a d’ailleurs fait que les mimer. Et maintenant, la politique s’est engluée dans une activité de gestion qui laisse peu de place aux idées. La marginalisation des intellectuels accompagne la dégradation du personnel politique. Au XIXe siècle, le politicien professionnel d’aujourd’hui n’existait pas. Il n’y avait pas encore de caste ni d’ENA pour condamner les électeurs à devoir choisir, à chaque échéance majeure, entre les élèves d’une même école, répartis en sensibilités politiques à peine différenciées. Lamartine en candidat contre Louis Napoléon Bonaparte, Victor Hugo en exil à Guernesey: les écrivains n’étaient pas les plantes vertes des tribunes de campagne et ils payaient, parfois, de leur personne.
Autre temps, certes. Le XIXe siècle est né dans les fracas de l’épopée bonapartiste. Le siècle romantique est fait de combats grandioses, de révolutions et de contre-révolutions. Le verbe peut claquer aussi fort que la poudre: on se bat aussi pour Hernani, pour les Fleurs du Mal, pour Madame Bovary. La science et l’Eglise s’affrontent. Par Renan et Michelet, l’histoire s’impose contre la religion. Pourtant, la scène politique ne se résume pas à un tableau de Delacroix. Ces poètes et ces romanciers entrés en politique ne se contentent pas de discours lyriques. Ils pensent, débattent, conçoivent des réformes, construisent et abattent des régimes. Ils détiennent un pouvoir considérable, surtout en regard de l’impuissance des intellectuels d’aujourd’hui. Dans son exil à Guernesey, Victor Hugo est une menace pour Napoléon III. Sa popularité, le formidable écho des Misérables pèsent autrement sur la politique que toutes les pétitions et prestations médiatiques des intellectuels d’aujourd’hui. Quel écrivain serait-il, à l’heure qu’il est, sur son nom et sans campagne, triomphalement élu à Paris ? De Victor Hugo à Jean Tiberi, Philippe Séguin et Bertrand Delanoë, la capitale donne la mesure de ce double déclin des intellectuels en politique et de la politique elle-même.
Les hommes politiques du XIXe siècle étaient historiens ou avocats, journalistes ou poètes, parfois mathématiciens, toujours orateurs. L’oeuvre historique de Guizot, de Jaurès ou même de Thiers avait tout de même une autre allure que les monographies attribuées à Jack Lang, François Bayrou ou Nicolas Sarkozy. Un article de Rochefort ou de Clemenceau, c’était tout de même autre chose qu’un exercice de pensée télévisée offert par Alain Juppé ou Dominique Strauss-Kahn ! A comparer la pensée et la manière d’écrire des politiques d’aujourd’hui à celles de leurs grands ancêtres, on sombrerait vite dans un dédain en regard duquel celui de Flaubert passerait pour une petite saute d’humeur. Flaubert avait d’ailleurs repéré le maître des temps à venir: le conseiller général de Yonville, Seine-Inférieure, a pris le pouvoir et il dispose d’une tribune permanente de comice agricole installée dans le salon des Bovary. La dégradation à venir hante l’oeuvre de ce quarante-huitard aigri qu’est Gustave Flaubert. Notre modernité se situe, hélas, entre les discours des sous-préfets de Seine-Inférieure et les affirmations péremptoires de Bouvard et Pécuchet. Elle est aussi présente chez Zola moins par ce socialisme très involontaire évoqué par Winock et qui a transformé Germinal en bible des combats ouvriers, quand ce n’était qu’un avertissement aux classes possédantes, que par sa formidable description des moeurs politiques mises en place sous le Second Empire. La conquête de la circonscription de Plassans, la carrière de Son Excellence Eugène Rougon, les mécanismes de corruption et de spéculation immobilière dévoilés dans la Curée demeurent d’une bouleversante actualité.
Le siècle s’achève: Zola, à son insu, dessine le nouveau statut de l’intellectuel. Journaliste, il assistait, impuissant, aux calamiteux débuts de la IIIe République. Romancier, il fut fort surpris d’alimenter une idéologie sans jamais y adhérer: l’auteur d’un livre, qui devait figurer pendant un siècle dans toutes les bibliothèques socialistes, ne redoutait rien tant que la révolution sociale. «Il est peut-être temps encore d’éviter les catastrophes finales», écrivait Zola, qui ne se trompait pas tout à fait en annonçant le péril: «Les nations s’engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l’histoire.» Mais Zola sera surtout le dernier intellectuel à jouer un rôle majeur dans une affaire d’Etat, en déclenchant l’affrontement qui devait aboutir à la révision du procès Dreyfus.
Ce faisant, il n’avait pas seulement fait surgir une polémique qui, une fois de plus, le dépassait, lui qui n’entendait pas défendre Dreyfus en tant que juif, mais parce que innocent. Mais il avait aussi dessiné le nouvel espace politique des intellectuels. Celui de la protestation, aux marges d’un système politique qui, inexorablement, ramenait les écrivains et les penseurs vers la place qui était assignée au théâtre dans la Cité antique, celle de l’imprécateur, qui conteste le système, en corrige parfois les fautes et les excès, mais ne peut accéder au pouvoir. Le livre de Winock se termine sur le triomphe final de Victor Hugo, sur le plus extraordinaire enterrement populaire que Paris ait jamais connu. Avec Victor Hugo, c’est d’ailleurs la forme la plus achevée de l’engagement des écrivains que l’on a enterrée. Désormais, les écrivains ne pénètrent plus dans les palais nationaux que pour y remettre des pétitions quand ce n’est pas pour se faire décerner quelque décoration, misérable breloque par laquelle les pouvoirs les remercient pour leur impuissance acceptée.
Je partage tout à fait le point de vue de cet article, et, ce faisant, du livre (que je n’ai pas lu) qu’il présente. Les hommes de cet incroyable siècle que fut le XIXème se définissaient à la fois par leurs oeuvres et par leur action politique. Saluant Edgar Quinet qui venait de mourir, Victor Hugo dit de son œuvre qu’elle « a le double aspect, ce qu’on pourrait appeler le double versant, politique et littéraire, et par conséquent la double utilité dont notre siècle a besoin ; d’un côté le droit, de l’autre l’art ; d’un côté l’absolu, de l’autre l’idéal. » Tandis que notre époque semble plutôt figée, le XIXème est en pleine construction (politique, intellectuelle…)
Je déteste Zola ! Il y a en effet méprise sur l’objectif de son œuvre… la thèse qui en soutient l’édifice, c’est celle de l’hérédité – mais de cette hérédité négative qui transmet les tares des générations précédentes, les accumule, et, par le mécanisme de dégénérescence, les amplifie ! Dans Germinal, il n’est question que de ça ! c’est même le sens véritable de ce titre : au-delà de l’images printanière, c’est clairement la copulation des ouvriers qui préoccupe Zola… de ces ouvriers qui n’arrètent pas de forniquer derrière les haies, culbuter des filles, en se moquant de ceux qui les avaient culbutées avant eux ! J’ose à peine parler de son obsession pour les seins (le sein énorme pendait, libre et nu, comme une mamelle de vache puissante)… La saga des Rougon-Macquart se termine sur un inceste… apparemment seul moyen envisagé par Zola pour éviter la dégénérescence ?! Bref Zola, c’est beurk !