« PANORAMA. On a donné ce nom à un vaste tableau circulaire ; où l’œil du spectateur embrassant successivement tout son horizon, et ne rencontrant nulle limite, y trouve l’illusion la plus complète. »[0]
Dans une célèbre conférence[1], Michel Foucault parle de lieux, de lieux réels qui, bien qu’effectivement localisables, seraient hors de tous les lieux et constitueraient des sortes d’utopies effectivement réalisées… Tel peut ainsi être défini le Panorama dont le dispositif a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles…
La Cité du Soleil : une vision utopique
Puisque, comme le dit Michel Foucault, « il y a d’abord les utopies »[1bis], en voici une qui me semble entretenir une relation particulière avec ce qui nous intéresse : il s’agit de celle élaborée, au alentour de 1620, par Tommaso Campanella. Comme la République de Platon (à vérifier), la structure politique de la Cité du Soleil de Campanella est un reflet de sa disposition architecturale circulaire et concentrique… « La cité est divisée en sept cercles immenses qui portent les noms des sept planètes. On va de l’un à l’autre de ces cercles par quatre rues et quatre portes qui correspondent aux quatre points cardinaux. »[2] Ce qui est surprenant, c’est que ces murs d’enceintes offrent aux Solariens une sorte de panorama – ou pour mieux dire de cosmorama – de toutes les connaissances humaines : « Ce fut Sagesse qui fit orner tous les murs de la cité de peintures qui désignent merveilleusement toutes les sciences dans un ordre admirable. [...] » Campanella décrit alors un à un les différents savoirs : « Sur le mur intérieur du premier cercle on a peint toutes les figures mathématiques, en bien plus grand nombre que celles découvertes par Archimède et Euclide. Chacune d’elles est d’une grandeur proportionnée à la muraille et expliquée par un vers qui indique la définition et la proposition, etc. Sur le mur convexe (extérieur) se trouve la description de toute la terre. Elle est suivie de la carte de chaque province, prise à part, où les usages, les lois, les mœurs, les origines et les forces de chaque peuple sont expliqués par un abrégé en prose, et l’alphabet, dont se sert chaque nation, est placé au-dessus de l’alphabet de la cité du Soleil. » Même si cette vision utopique n’a, semble-t-il, pas de lien direct avec la représentation qui nous occupe, on n’en reconnaît pas moins la structure panoramique dans sa plus grande extension…
Cette rencontre fortuite est peut-être l’indice de la manière avec laquelle pourrait être envisagé le Panorama : s’il s’agit d’une utopie, c’est non pas au sens commun de l’impossibilité de sa réalisation, mais c’est au contraire en tant qu’il constitue un véritable projet politique (de domination) qui, littéralement, s’initie par et s’ordonne autour d’une vision du monde. Cette vision prépare la domination du monde et, dans un même regard, renforce la position centrale qu’on prétend y occuper… c’est d’ailleurs exactement ce qu’affirme Bernard Comment[19] : « The invention of the panorama was a response to a particularly strong nineteenth-century need – for absolute dominance » (chercher la citation en français !)
Il est intéressant de constater qu’exactement à la même époque Jeremy Bentham conçoit le projet d’une prison circulaire, qu’il nomme Panopticon, dont les caractéristiques donnent aux prisonniers « le sentiment d’une invisible omniprésence »… « Le Panoptique est une machine merveilleuse qui, à partir des désirs les plus différents, fabrique des effets homogènes de pouvoir. » (Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, III, Le Panoptique – 1975) Un véritable lien de cousinage existe entre ces deux dispositifs qui place le regard de l’individu, celui du moi[2bis], en son centre…
Le Panorama : une invention française ?
En 1779[3], un certain Louis Le Masson, ingénieur du corps royal des ponts-et-chaussées, « eut l’idée grande et neuve, de faire voir Rome toute entière » : « se considérant, en quelque sorte, comme un pivot tournant sur lui-même, [...] il a tracé avec l’exactitude la plus rare, la fidélité la plus scrupuleuse, les détails innombrables qui s’offraient à sa vue [...]» De retour à Paris, Le Masson fait de ce dessin une gravure : « Transporté sur cinq planches, chacune de 36 pouces de longueur et qui se réunissent , il produit un développement continu de quinze pieds. [...] Cet exemplaire est placé sous un optique, roulant sur des galets dans toute la longueur du tableau. L’illusion est au point qu’on se croit transporté sur la terrasse de Saint-Pierre-du-Mont. C’est un Panorama réel, imposant, magnifique et vaste. »[4]
Bien que cette affirmation soit tardive (elle date en effet de 1821), il n’en demeure pas moins que cette vue panoramique de Rome existe effectivement[5]… Certain n’hésite pas à affirmer que cette oeuvre « peut donner à la France le droit de renvendiquer l’invention des panoramas »[6]
« Les Anglais qui prétendent à la priorité dans toutes les inventions, n’ont pas fait attention, en attribuant celle des Panoramas à leurs compatriotes Fulton et Barker, ou plutôt n’ont pas voulu savoir que Mr. Le Masson avait fait celui dont nous parlons en 1779 ; cependant, ils ne pouvaient l’ignorer, puisque leur paysagiste Moor était à Rome à cette époque , même dès 1778 , et connaissait très-bien notre auteur, ainsi que l’ouvrage dont nous parlons. »[7]
Cette constatation serait anecdotique si elle ne permettait pas de tracer une généalogie possible du dispositif panoramique : en effet, le paysagiste Moor dont il est question est vraisemblablement Jacob More (1740-1793), lequel était natif d’Edimbourgh et gravitait autour du philosophe David Hume…
Edinburgh Enlightenment vu du Calton-Hill
Edimbourgh, capitale de l’écosse, est alors en pleine effervescence intellectuelle et artistique, notamment grâce à David Hume, philosophe et historien, que l’on connait pour avoir écrit son Traité sur la Nature humaine… Pour lui, peu importe de savoir si les « impressions qui proviennent des sens », « proviennent directement de l’objet » ou « sont produites par le pouvoir créateur de l’esprit » : ce qui est important, c’est que « nous pouvons tirer des inférences de la cohérence de nos perceptions, qu’elles soient vraies ou fausses, qu’elles représentent la nature avec exactitude ou qu’elles soient de pures illusions des sens »[8] N’est-ce pas exactement de ça, de cette cohérence de nos perceptions, que le dispositif panoramique tire son effet ?
Cette extraordinaire convergence philosophique est doublée par une convergence que l’on pourrait qualifiée de topographique : Edimbourgh est surplombée par une colline – le Calton Hill – où le philosophe aimait à se promener et où il finira par être enterré. En 1775, soit un an avant de mourir, Hume soumet une pétition pour ouvrir sur cette colline des « regular public walks or roads for health and amusement of the inhabitants »… En 1776, il est enterré dans le cimetière sur les pentes de cette colline : un mausolé de forme cylindrique ouvert sur le ciel sera édifié en 1777 par l’architecte Robert Adam (1728-1792)… Robert Adam et Jacob More se connaissent…
C’est du haut de Calton Hill que Robert Barker et son fils mettront au point le premier panorama sur lequel on peut d’ailleurs apercevoir le mausolé de David Hume !
Robert BARKER et la Nature à Coup d’Œil
C’est donc un certain Robert BARKER, peintre à Edimbourg, qui inventa le Panorama : un jour qu’il se promenait sur le Calton-Hill, sa fille lui demanda pourquoi il était si pensif, et quel était l’objet de ces pensées ? « Il répondit qu’il était entrain de se demander s’il n’était pas possible de donner l’entière vue de cette colline en une image »[9]
On répète souvent que c’est en dessinant sur les murs de la cellule d’une prison où il était emprisonné pour dette, qu’il eut l’idée du procédé panoramique ! Ainsi, dès l’origine, il est déjà question d’un enfermement dont on se libère par une projection imaginaire de l’intense désir de liberté sur la surface même de ce qui nous enferme…
Ainsi, en juin 1787 il déposa un brevet pour un dispositif qu’il nomme, en français, La Nature à Coup d’ Œil [10]… Son fils, Henry Aston Barker, joue, dès le début, un rôle important : c’est lui qui dessinera le premier panorama et qui, à la mort de son père, reprendra la florissante entreprise.
L’ingénieur américain Robert FULTON
C’est l’ingénieur américain Robert FULTON[11], connu notamment pour être l’inventeur de bateau à vapeur et avoir expérimenter un sous-marin, qui importa en 1799 « des tableaux circulaires appelés Panorama »[12] sur le sol français.
On suppose avec raison que le jeune Fulton découvrit le Panorama de Barker durant son séjour en Angleterre où il fait son apprentissage artistique chez le peintre américain Benjamin West. Ses qualités artistiques et son ingéniosité technique permettent de comprendre l’intérêt de Fulton pour le dispositif panoramique.
Fulton fait édifier une rotonde à l’intérieur du jardin des Capucines. Le panorama est ouvert en septembre, avec une Vue de Paris depuis les Tuileries, réalisée par le peintre Pierre Prévost (Preliminary Drawing of Paris in 1804). « Plusieurs artistes se firent un nom par ces tableaux ; nous citerons, au-dessus de tous les autres Prévost, qui apporta de tels perfectionnements à la peinture des panoramas, qu’on l’a souvent regardé comme l’inventeur du genre. »
À cours d’argent, Fulton s’associe avec son compatriote, James Thayer[12bis], auquel il finira par céder les droits du dispositif. Thayer fait construire, boulevard Montmartre, deux nouvelles rotondes agrémentées par le fameux passage des Panoramas.
l’illusion la plus complète
« Un panorama consiste en une rotonde, éclairée seulement par une ouverture circulaire, pratiquée dans la toiture. Au centre de cette rotonde est une estrade isolée, dont les bords, en appentis, sont garnis d’une balustrade qui empêche le spectateur de s’approcher assez près de la muraille pour la toucher. »[13] Voilà pour le bâtiment…
En ce qui concerne le dispositif proprement dit : « C’est un tableau circulaire sans commencement ni fin, et dont on ne peut voir ni le haut ni le bas. Il représente tout l’horizon en grandeur naturelle. Le spectateur est placé à l’endroit même d’où le peintre a pris la vue, de sorte que chaque point du tableau se trouve précisément sur la route du rayon lumineux qui viendrait immédiatement d’un point de la campagne que le peintre avait sous les yeux, et que l’ensemble de ces rayons excite en nous la sensation de la campagne. »[14]
« Le nom de panorama est composé de deux mots grecs, παν et όραμα, qui signifient, vue de la totalité, vue de l’ensemble. Ce mot seul présente à l’esprit l’idée de cette découverte. En effet, le panorama n’est autre chose que la manière d’exposer un vaste tableau ; en sorte que l’œil du spectateur, embrassant successivement tout son horizon, et ne rencontrant partout que ce tableau, éprouve l’illusion, la plus complète. Nos sens sont aisés à tromper ; la vue surtout, cet organe délicat, juge les objets avec incertitude ; les grandeurs , les distances ne peuvent être évaluées par lui sans un moyen secondaire, et ce moyen c’est la comparaison ; toutes les fois que ce secours lui manque il est sujet à errer, ou pour mieux dire il erre toujours. C’est donc en étant à l’œil tous les termes de comparaison, que l’on parvient à le tromper, au point de le faire hésiter entre la nature et l’art. »[15]
« C’est ainsi que , par la réunion de ces moyens , l’œil du spectateur se promenant librement sur un tableau continu, dont toutes les parties sont en harmonie de couleur et de proportion, sans rencontrer un seul objet qui lui serve de comparaison , éprouve l’illusion la plus complète : ce n’est plus un tableau qu’il voit, c’est la nature même qu’il a sous les yeux. »[16]
La nature même… Voilà ce qu’il y a d’extraordinaire dans ce dispositif : la nature semble s’y dévoiler mieux encore que ne pourrait le faire un véritable coup d’œil sur le site réel… Ce qui est significatif, c’est d’avoir présenté le panorama de Londres aux yeux des Londoniens, et celui de Paris à celui des Parisiens[20] : ne pouvaient-ils pas simplement regarder autour d’eux ? Il a fallut être immergé dans l’illusion du panorama pour que les regards se dessillent : il a fallut ce surgissement pour que soit enfin nommé, avec le succès que l’on connait, le spectacle de la nature environnante : « Chaque lieu élevé, du sommet duquel on découvre une vaste contrée, mérite donc , sous ce rapport, le nom d’un panorama naturel. »[21].
L’effet est à ce point saisissant que l’on prétend qu’il serait tout à fait possible de s’y laisser prendre entièrement : « Un homme qui se trouverait transporté sur l’estrade pendant son sommeil, et à son insu, aurait de la peine à savoir si les images qui se présentent à lui ne sont pas des réalités. Il ne faut au spectateur le mieux prévenu et le plus en garde contre l’illusion, qu’un moment de distraction pour être entraîné dans la même erreur. »[18]
Chateaubrillant, lui-même, raconte l’anecdote suivante : « On a vu à Paris les Panoramas de Jérusalem et d’Athènes ; l’illusion était complète ; je reconnus au premier coup d’œil les monuments et les lieux que j’avais indiqués. Jamais voyageur ne fut mis à si rude épreuve : je ne pouvais pas m’attendre qu’on transportât Jérusalem et Athènes à Paris pour me convaincre de mensonge ou de vérité. »[17]
Si, comme l’affirme Bernard Comment, « le panorama est un lieu clos qui ouvre à une représentation du monde »[19], on en déduit que sa topologie a ceci de singulière que ce qu’elle enferme en son sein est paradoxalement grand ouvert sur l’extérieur, sur le lointain… le panorama n’est pas à proprement parlé un espace limité, clos, circonscrit… il n’est pas tout à fait ancré dans l’ici ni dans le maintenant… il tend vers l’ailleurs et l’hier… en fait, sa fonction est de ramener ici, accessoirement au centre de la rotonde, mais plus véritablement au centre même de la conscience du XIXème siècle, ce qui est lointain, ce qui est encore difficilement accessible… bref, ce qui est autre (afin de mieux le métaboliser et de le faire sien).
0 – Noël, Carpentier et Puissant fils, Dictionnaire Des Inventions, des origines et des découvertes, 1837
1 – « Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies [...] » Michel Foucault, Des espaces autres, conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967 – première publication in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984 – in Dits et écrits, Galimard – à écouter absolument :
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1bis – « Il y a d’abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-même perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels. » Ib.
2 « Ce fut Sagesse qui fit orner tous les murs de la cité de peintures qui désignent merveilleusement toutes les sciences dans un ordre admirable. [...] Sur le mur intérieur du premier cercle on a peint toutes les figures mathématiques, en bien plus grand nombre que celles découvertes par Archimède et Euclide. Chacune d’elles est d’une grandeur proportionnée à la muraille et expliquée par un vers qui indique la définition et la proposition, etc. Sur le mur convexe (extérieur) se trouve la description de toute la terre. Elle est suivie de la carte de chaque province, prise à part, où les usages, les lois, les mœurs, les origines et les forces de chaque peuple sont expliqués par un abrégé en prose, et l’alphabet, dont se sert chaque nation, est placé au-dessus de l’alphabet de la cité du Soleil. » Tommaso Campanella, La Cité du Soleil, in Oeuvres choisies de Campanella, précédées d’une notice par Madame Louise Colet, 1844 – « L’Utopie de Campanella, la Cité du Soleil, écrite en latin, fait partie de la Philosophia realis, parue en 1620-1623 à Francfort, et réimprimée à Paris en 1637, deux ans avant sa mort ; elle se trouve à la suite de la troisième partie, la Politique. Sans entrer dans plus de détails bibliographiques, il est intéressant de mentionner qu’en pleine effervescence du socialisme utopique, il parut, à Paris, deux traductions françaises de la Civitas Solis, l’une en 1846, par Villegardelle, et l’autre en 1844, par Jules Rosset ; celle-ci précédée d’une notice biographique, par Mme Louise Colet. » Paul Lafargue, 1895
2bis « Le moi nous apparaît donc comme le centre auquel viennent aboutir tous nos états de conscience. » Émile Durkheim, Cours de philosophie, 1884. – « Ce raisonnement repose tout entier sur l’identification des deux idées de moi et de dedans. Cette identification est-elle légitime? Le moi ne nous apparaît-il pas plutôt comme un centre, un point de convergence où viennent se centraliser tous les états de conscience plutôt qu’une enceinte les comprenant? Prenons des comparaisons dans la géométrie. L’idée de dedans représenterait assez bien une sphère, l’idée de moi le centre de cette sphère. Les rayons représentant alors les états de conscience, sont enfermés dans la sphère et convergent au moi. Entre la sphère et son centre, entre l’idée de dedans et celle de moi, il y a de grands rapports; mais on ne peut faire de leur identification la base d’un raisonnement. » Émile Durkheim, Cours de philosophie, 1884. – « Mon oeil, qu’il soit perçant ou faible, ne voit pas au-delà d’un certain espace, et dans cet espace je vis et j’agis, cette ligne d’horizon est mon plus proche destin, grand ou petit, auquel je ne peux échapper. Autour de chaque être s’étend ainsi un cercle concentrique qui a un centre et qui lui est propre. De même l’oreille nous enferme dans un petit espace, de même le toucher. D’après ces horizons où nos sens enferment chacun de nous comme dans les murs d’une prison, nous mesurons ensuite le monde [...] » Nietzsche, Aurore, Livre deuxième, 117. En prison
3 – Il est peut-être intéressant d’indiquer que c’est précisément en 1779 que le projet encyclopédique de Diderot se termine définitivement par la publication des derniers volumes. C’est aussi l’année de la mort de Louis de Jaucourt, l’un des contributeurs les plus prolifiques de l’Encyclopédie… Diderot, quant à lui, meurt en 1784.
4 – « Tous les dessinateurs qui ont visité Rome, nous ont successivement et à l’envi, retracé les divers points de vue, les sites, les monumens, en un mot, toutes les beautés pittoresques de cette patrie des beaux-arts. Mais il en faut convenir, dans tout ce qu’on nous a fait voir, il n’y a nul ensemble. On ne nous a montré cette ville que par fragmens, bien faits pour intéresser, sans doute, mais toujours isolés. Mr. Le Masson, frappé de la beauté du sol, de la richesse des fabriques, de la majesté des ruines, et du spectacle magnifique offert par la nature et l’art, eut l’idée grande et neuve, défaire voir Rome toute entière, et le courage, plus grand peut-être, de la réaliser au milieu des devoirs qu’il avait à remplir. Le Janicule étant le point le plus élevé des sept collines , il se plaça sur la terrasse du couvent de Saint-Pierre-du-Mont : là , se considérant, en quelque sorte, comme un pivot tournant sur lui-même, le bras gauche tendu, un pîed-de-roi dans la main, dirigé, tour à tour, parallèlement ou à la perpendiculaire; il a tracé avec l’exactitude la plus rare, la fidélité la plus scrupuleuse, les détails innombrables qui s’offraient à sa vue, et dont les proportions se trouvaient déterminées d’avance par la graduation de l’échelle qu’il avait dans les doigts et qui en mesurait la surface. [...] Depuis son retour à Paris, Mr. Le Masson a gravé à l’eau-forte un trait de ce dessin, et l’on sent bien que fait par lui-même , il n’a pu que gagner encore a la gravure. Transporté sur cinq planches, chacune de 36 pouces de longueur et qui se réunissent , il produit un développement continu de quinze pieds. [...] Cet exemplaire est placé sous un optique, roulant sur des galets dans toute la longueur du tableau. L’illusion est au point qu’on se croit transporté sur la terrasse de Saint-Pierre-du-Mont. C’est un Panorama réel (1), imposant, magnifique et vaste. » F E Joubert Père, Manuel de l’amateur d’estampes, 1821
5 – Louis Le Masson, Panorama of Rome, 1779. (watercolor and gouache on paper, mounted on canvas, full size 62 x 456 cm)
6 – « Il rapporta aussi une vue générale de Rome, qui peut donner à la France le droit de renvendiquer l’invention des panoramas » Précis analytique des travaux de l’Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, 1830.
7 – La note précise la chose suivante : « (1) Les Anglais qui prétendent à la priorité dans toutes les inventions, n’ont pas fait attention, en attribuant celle des Panoramas à leurs compatriotes Fulton et Barker, ou plutôt n’ont pas voulu savoir que Mr. Le Masson avait fait celui dont nous parlons en 1779 ; cependant, ils ne pouvaient l’ignorer, puisque leur paysagiste Moor était à Rome à cette époque , même dès 1778 , et connaissait très-bien notre auteur, ainsi que l’ouvrage dont nous parlons. » F E Joubert Père, Manuel de l’amateur d’estampes, 1821 – (Edimbourgh, c’est aussi la ville du philosophe david Hume (17… -1776), lequel fut inhumé dans le cimetière de Calton-Hill où un où un mausolé (tour cylindrique sans toit… conçue par Robert Adam, un architecte renommé qui connaissait Jacob More !)… c’est sur cette colline que Barker dessina son premier panorama : Robert Barker’s panorama of Edinburgh from Calton Hill (1789-90) shows the mausoleum atthe corner of a nearly empty Calton Burying Ground !)
8 – « Pour ce qui est des impressions qui proviennent des sens, la cause ultime en est, à mon avis, parfaitement inexplicable par la raison humaine, et il sera toujours impossible de décider avec certitude si elles proviennent directement de l’objet, si elles sont produites par le pouvoir créateur de l’esprit, ou si elles procèdent de l’auteur de notre existence. Une telle question n’a, d’ailleurs, aucune espèce d’importance pour notre présent dessein. Nous pouvons tirer des inférences de la cohérence de nos perceptions, qu’elles soient vraies ou fausses, qu’elles représentent la nature avec exactitude ou qu’elles soient de pures illusions des sens » (Traité, I, III, 5, 146).
9 – « Mr. Barker, who had invented a mechanical system of perspective, and taught that art at Edinburgh, where he was resident, was walking one day with his daughter (the late Mrs. Lightfoot) on the Calton-hill, when, observing her father to be very thoughtful, Miss Barker asked him what was the subject of his thoughts. He replied, that he was thinking whether it would not be possible to give the whole view from that hill in one picture: she smiled at an idea so contrary to all the rules of art; but her father said he thought it was to he accomplished by means of a square frame fixed at one spot on the hill: he would draw the scene presented within that frame, and then shifting the frame to the left or right, he would draw the adjoining part of the landscape; and so going round the top of the hill, he would obtain the view on all sides: and the several drawings being fixed together and placed in a circle, the whole view might be seen from the interior of the circle, as the summit of the hill. This idea he forthwith put in execution, and drawings were made by his son Henry Aston, then quite a youth, of Edinburgh from the Calton-hill, with Holyrood-house in the foreground. » Henry Aston Barker Orbituary in The Gentleman’s Magazine, p.515, 1856
10 – « M. Robert BARKER, peintre d’Edimbourg, est l’auteur de cette invention ; il y a environ 15 ans qu’il exposa son premier panorama à Londres, dans le Leicestersquare , un des quartiers les plus fréquentés de cette capitale » Aubin Louis Millin, Dictionnaire des beaux-arts, 1806 – « Elle est due à Robert Barker, natif d’Edimbourg, et peintre de portraits : ce fait est constaté par la patente ou brevet d’invention qui lui fut accordé à ce sujet, le 19 Juin 1787. » Noël, Carpentier et Puissant fils, Dictionnaire Des Inventions, des origines et des découvertes, 1837 – Robert Barker (1739 – 1806) … brevet du 19 juin 1787 … When Barker first patented his technique in 1787, he had given it a French title: La Nature à Coup d’ Oeil … The artist is credited with inventing the idea while in debtor’s prison where he experimented with sketching landscapes on a wall lit by a small overhead window. (réf ?) – son fils, Henry Aston Barker exposera par la suite de nombreux panoramas (Trafalgar, …) … la création des panoramas exotiques nécessitait qu’on voyage dans le pays représenté : « On the 4th of January, 1800, the Young James, an English merchantman, arrived in the harbour of Constantinople : she had on board Mr. Barker, junior, the draughtsman, the object of whole voyage was to make drawings of the most interesting and striking views of Constantinople for his panorama. I must add, in justice to Mr. Barker, that he has been extremely successful in his two views of that place, than which nothing can be more correct. » William Wittman, Travels in Turkey, Asia-Minor, Syria, and Across the Desert Into Egypt, 1803
11 – Robert FULTON (1765 – 1815), …- Montgéry, Notice sur la vie et les travaux de Robert Fulton, 1825 – « M. Fulton , qui a établi le Panorama à Paris , et qui dernièrement avait fait à Rouen l’essai d’un bateau poisson, vient de renouveler ses expériences à Brest et au Havre. Ce bateau renferme une pompe aspirante , qui peut le faire couler à fond a volonté ; à l’une de ses extrémités, il a une pompe foulante qui le fait remonter , et à l’autre , une espèce de gouvernail , qui le dirige quand il est sur l’eau. Au-dessus , un cône de glaces mastiquées laisse pénétrer le jour dans le bateau , au fond duquel est une glace qui répète tous les objets extérieurs. M. Fulton est resté deux heures sous l’eau , sans éprouver le besoin de remonter. Il a incendié , sans être aperçu , des matières placées à une très-grande distance. Il peut , au moyen de flèches ou lances , qu’il fixe dans le bâtiment qu’il veut incendier , s’y attacher pendant quelque teins. Il ne vut publier les moyens qu’il emploie, que lorsque le perfectionnement de sa machine lui assurera les fruits de son. invention. » Journal général de la littérature de France, 1801
12 – « Brevet d’importation de 10 ans, délivré le 7 floréal an 7, au sieur Robert Fulton pour l’importation des tableaux circulaires appelés Panorama, prorogé de 5 ans par décret du 10 mars 1809, en faveur du sieur Thayer et de Henriette Back, sa femme, cessionnaires du sieur Robert Fulton. (Bull. des lois, 4°. série, n°. 229. ) » Buloz, Bulletin universal des sciences et de l’índustrie, – « 26 avril 1799 (6 Floréal an IX) BREVET D’INVENTION ET DE PERFECTIONNEMENT DE DIX ANS (1), Pour des panoramas, ou grands tableaux cylindriques appliqués sur l’intérieur des murs d’une rotonde éclairée par en haut, dont les spectateurs occupent le centre, Au sieur Robert Fulton , des États-Unis. » Description des machines et procédés spécifiés dans les brevets d’invention, pp. 44-52, Tome Troisième, 1820. (contient la description complète de l’invention) – Il y a manifestement une erreur de date dans ce dernier document : j’ai vérifié que le 26 avril 1799 correspondait bien au 7 floréal an 7 de la République et non pas au 6 floréal an 9… l’an 9 correspond à l’année 1801 ! – « Le brevet de dix ans accordé, le 7 floréal an VII, au S.r Robert Fulton, pour l’importation des tableaux circulaires appelés Panorama dont la durée expire le 27 avril 1809, est prolongé de cinq ans, qui finiront le 27 avril 1814, en faveur du S.r James Thayer et de Henriette Beck, sa femme, cessionnaires du S.r Robert Fulton, par acte notarié du 17 frimaire an VIII. » Bulletins des Louis de l’Empire Français, –
12bis – « En vertu d’un décret de la Convention, les biens de James Thayer, comme étranger, avaient été confisqués. Il réclama contre cette spoliation, revendiqua le titre de citoyen français, et sut si bien conduire cette affaire, que non-seulement il obtint la restitution de ses biens, mais encore ,il se fit donner une indemnité et devint l’objet d’une véritable ovation populaire. James Thayer se retrouva alors à la tête d’une assez belle fortune, qu’il augmenta encore par d’habiles spéculations. Lorsque l’hôtel de Montmorency, dont les jardins occupaient tout l’espace entre la Bourse et le boulevard Montmartre, furent mis en vente, il en acheta une grande partie, et fit construire sur son nouveau terrain les galeries du passage des Panoramas. » Borel d’Hauterive, Les grands corps politiques de l’état, p.86, 1852
13 – J. François C. Blanvillain, Le Pariséum, ou tableau actuel de Paris, 325, 1807
14 - F. S. BEUDANT, ESSAI D’UN COURS ÉLÉMENTAIRE ET GÉNÉRAL DES SCIENCES PHYSIQUES, Livre Sixième – De la lumière, chap III – De l’oeil et de la Vision, pp 495-496, 1824
15 – Dictionnaire chronologique et raisonné des découvertes…, Tome douzième, chez Louis Colas, libraire-éditeur, p.545-546, novembre 1823
16 – Dictionnaire chronologique et raisonné des découvertes…, Tome douzième, chez Louis Colas, libraire-éditeur, p.547, novembre 1823
17 – CHATEAUBRIANT, Préface de L’Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1827 – Il existe une version plus ancienne de cette phrase… pris sur le vif, cette version est bien plus savoureuse : « L’illusion est complète : j’ai reconnu, au premier coup d’œil, tous les monumens, tous les lieux, et jusqu’à la petite cour où se trouve la chambre que j’habitois dans le couvent de Saint-Sauveur. Peut-être s’est-il mêlé un peu d’amour-propre au plaisir que j’ai éprouvé ; on jugera par le Panorama de la fidélité de mes récits. Jamais voyageur ne fut mis à une si rude épreuve : je ne pouvois m’attendre qu’on transporteroit Jérusalem à Paris pour me convaincre de mensonge ou de vérité. » Panorama de Jérusalem, in Le Conservateur, Tome Troisième, p.177, 1820
18 – J. François C. Blanvillain, Le Pariséum, ou tableau actuel de Paris, 325, 1807 – « On peut assurer qu’un homme, transporté sur l’estrade de ce Panorama, durant un sommeil qui lui permettrait d’ignorer comment on l’y aurait conduit, serait dans l’impossibilité absolue d’affirmer que les images qu’il voit ne sont pas des réalités , et qu’il ne faut au spectateur le mieux prévenu, le plus en garde, qu’un moment de distraction pour être entraîné dans la même doute. » Le Panorama, vue de la villes de Naple, in L’esprit des journaux français et étranger, décembre 1805, p.160 – Je constate que l’on se copie beaucoup… à vrai dire, de décennie en décennie, ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent, les mêmes expressions.. à croire que, malgré l’incroyable effet que le panorama produisait initialement, on a eut bien du mal à en renouveler l’expérience mentale qui s’est, peu à peu, émoussée jusqu’à ne plus produire d’effet du tout…
19 – « The invention of the panorama was a response to a particularly strong nineteenth-century need – for absolute dominance » Bernard Comment, The Panorama, Reaktion Books, 2002 – « le panorama est un lieu clos qui ouvre à une représentation du monde » Bernard COMMENT, Le 19ème siècle des panoramas. Paris, Adam Biro, 1993
20 – « L’illusion y est complète. J’y ai vu Paris dans Paris. » Louis Mercx, Mélanges poétiques et littéraires, p.260, 1802
21 – Aubin Louis Millin, Dictionnaire des beaux-arts, Tome III, p.38, 1806.
20 – « Daguerre, dans la tour où son docte pinceau
Ouvre aux jeux de l’optique un théâtre si beau,
Fait dans l’obscurité d’une enceinte massive
Luire des horizons l’immense perspective ;
Sa palette est magique ; et de ses feux versés
Quand la vue est atteinte et les murs traversés,
Un tissu, des parois circulante barrière,
Se transforme en miroir de la nature entière. » Népomucène Lemercier (1771-1840), sur la découverte de l’ingénieux peintre du diorama, [Lampélie et Daguerre], (Institut Royal de France, séance publique annuelle des cinq Académies du jeudi 2 mai 1829, présidée par M. Chevreul, Président, Paris 1839) – Cité par Walter Benjamin (Q3a,1- p.549)
Claude Lamboley, PETITE HISTOIRE DES PANORAMAS ou la fascination de l’illusion, Séance du 26/02/2007, Bulletin n°38, pp. 37-52 (édition 2008)
De la représentation de la terre à sa reproduction : l’invention des géoramas au dix-neuvième siècle
Silvia Bordini, Sans frontière. La peinture des Panoramas entre vision et participation, in Les arts de l’hallucination,
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