Le titre de cet article est, certes, un peu tiré par les cheveux… mais, il a l’avantage, non seulement de m’amuser, mais surtout de dévoiler un tant soit peu la véritable dimension du roman d’Alexandre Dumas. Je crois en effet (sans pourtant l’avoir trouvé), que, par-delà les romanesques péripéties et la trame historique du récit, les Trois Mousquetaires recèle un secret qui touche à la vérité de l’être, à son morcèlement et à la difficile recherche de son unité.
L’identité des trois mousquetaires – Athos, Porthos et Aramis – est d’emblée placée, par Alexandre Dumas lui-même, au centre de la problèmatique romanesque au point d’en constituer l’un de ses principaux ressorts cachés : « Nous l’avouons, ces trois noms étrangers nous frappèrent, et il nous vint aussitôt à l’esprit qu’ils n’étaient que des pseudonymes à l’aide desquels d’Artagnan avait déguisé des noms peut-être illustres, si toutefois les porteurs de ces noms d’emprunt ne les avaient pas choisis eux-mêmes le jour où, par caprice, par mécontentement ou par défaut de fortune, ils avaient endossé la simple casaque de mousquetaire. »
« D’Artagnan ne put, quelque peine qu’il se donnât, en savoir d’avantage sur ses trois nouveaux amis. Il prit donc son parti de croire dans le présent tout ce qu’on disait de leur passé, espérant des révélations plus sûres et plus étendues de l’avenir. En attendant, il considéra Athos comme un Achille, Porthos comme un Ajax, et Aramis comme un Joseph. » Une fois révélée, l’identité réelle des mousquetaires – tout particulièrement celle d’Athos – éclaire d’un jour nouveau toute l’intrigue.
On finit donc par découvrir qu’Athos n’est autre que le comte de la Fère, celui-là même dont Dumas prétendait, dans sa préface, avoir retrouvé les Mémoires… on apprend encore que ce comte fut – chose impensable – marié à Milady ! Tout à coup on comprend enfin pourquoi « on voyait cette nature si distinguée, cette créature si belle, cette essence si fine, tourner insensiblement vers la vie matérielle, comme les vieillards tournent vers l’imbécillité physique et morale. »
Il faut remarquer une chose importante : la personnalité de chacun des mousquetaires est bien plus complexe que ce qu’ils voulaient bien en montrer au premier abord. Leur frivolité apparente cache une profondeur qu’on ne leur soupçonnait pas. Tous trois, respectivement tiraillé par des passions contraires, portent en eux un secret qui les transforme (ou, comme on pourra le constater vingt ans après, les transformera) en ce qu’ils ne sont pas. Athos, grand seigneur, s’abîme, alcoolique et taciturne, dans le plus sombre des désespoirs où, « le demi-dieu évanoui, il restait à peine un homme. » Aramis, impénitent coureur de jupon, se déclare « mousquetaire par intérim » et « homme d’Église dans le cœur ». Et enfin, Porthos, véritable force de la nature dont il possède le caractère brute et insatiable : homme « vaniteux et indiscret », il ambitionne secrètement de devenir baron.
« L’homme [...] est un étrange animal, tout composé de contrastes », conclut Aramis, vingt ans après.
Les trois mousquetaires, tels que Dumas nous les présente, sont distinctement sous l’influence d’un organe spécifique qui détermine leur tempérament : Porthos = ventre, Aramis = sexe, Athos = cœur. Ils sont les membres épars (ou les pulsions partielles) d’un seul corps que d’Artagnan, « se creusant la cervelle pour trouver une direction à cette force unique quatre fois multipliée », va parvenir à unifier :
« tous pour un, un pour tous, c’est notre devise, n’est-ce pas ? »
Le point focal de cette unification, c’est évidemment Milady ! « Je suis seulement curieux d’éclaircir le mystère auquel elle se rattache. Je ne sais pourquoi, je me figure que cette femme, tout inconnue qu’elle m’est et tout inconnu que je lui suis, a une action sur ma vie. » Femme sans nom, sans identité fixe, qui semble n’être identifiable que par la marque infamante qu’elle porte sur son épaule ! Tout le roman converge vers son atroce exécution.
Il y aurait beaucoup à dire de ce personnage sans nom (« Un nom ! Est-ce que vous en avez un ? »), de ses multiples masques, de son origine mystérieuse, de sa liberté vis-à-vis des hommes (qui se conclut souvent par un meurtre), de sa masculinité (au moment où d’Artagnan découvre la marque sur l’épaule de Milady, il est contraint de s’enfuir travesti en femme !) et enfin de son exécution sur le bord de la Lys, c’est-à-dire à la frontière du territoire dont elle scelle, par son sang, le passage.
« Nous avons vécu ensemble, haï et aimé ensemble ; nous avons versé et confondu notre sang, et peut-être, ajouterai-je encore, y a-t-il entre nous un lien plus puissant que celui de l’amitié, peut-être y a-t-il le pacte du crime ; car, tous quatre, nous avons condamné, jugé, exécuté un être humain que nous n’avions peut-être pas le droit de retrancher de ce monde, quoique plutôt qu’à ce monde il parût appartenir à l’enfer. » Vingt ans après, I, XXX
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