Au loup

Au Loup – Aurélie Lacan

« C’est dans un mouvement de bascule, d’échange avec l’autre que l’homme s’apprend comme corps, comme forme vide du corps. De même, tout ce qui est alors en lui à l’état de pur désir, désir originaire, inconstitué et confus, celui qui s’exprime dans le vagissement de l’enfant – c’est inversé dans l’autre qu’il apprendra à le reconnaître. Il apprendra, car il ne l’a pas encore appris, tant que nous n’avons pas mis en jeu la communication.

Cette antériorité n’est pas chronologique, mais logique, et nous ne faisons là qu’une déduction. Elle n’en est pas moins fondamentale, puisqu’elle nous permet de distinguer les plans du symbolique, de l’imaginaire et du réel, sans lesquels on ne peut s’avancer dans l’expérience analytique qu’en usant d’expressions qui confinent à la mystique.

Avant que le désir n’apprenne à se reconnaître – disons maintenant le mot – par le symbole, il n’est vu que dans l’autre.

A l’origine, avant le langage, le désir n’existe que sur le seul plan de la relation imaginaire du stade spéculaire, projeté, aliéné dans l’autre. La tension qu’il provoque est alors dépourvue d’issue. C’est-à-dire qu’elle n’a pas d’autre issue – Hegel nous l’apprend – que la destruction de l’autre.

Le désir du sujet ne peut dans cette relation se confirmer que d’une concurrence, que d’une rivalité absolue avec l’autre, quant à l’objet vers lequel il tend. Et chaque fois que nous approchons, chez un sujet, de cette aliénation primordiale, s’engendre l’agressivité la plus radicale – le désir de la disparition de l’autre en tant qu’il supporte le désir du sujet.

C’est là une fonction centrale. La relation qui existe entre le sujet et son Urbild, son Ideal-Ich, par où il entre dans la fonction imaginaire et apprend à se connaître comme forme, peut toujours basculer. Chaque fois que le sujet s’appréhende comme forme et comme moi, chaque fois qu’il se constitue dans son statue, dans sa stature, dans sa statique, son désir se projette au-dehors. D’où s’ensuit l’impossibilité de toute coexistence humaine.

Mais, Dieu merci, le sujet est dans le monde du symbole, c’est-à-dire dans un monde d’autres qui parlent. C’est pourquoi son désir est succeptible de la médiation de la reconnaissance. Sans quoi toute fonction humaine ne pourrait que s’épuiser dans le souhait indéfini de la destruction de l’autre comme tel. »

Jacques LACAN, Le Séminaire, Livre I, Au delà de la psychologie, XIII, La bascule du désir.

Comments are closed.