grotte du diable

Extrait d’un entretien d’Annick de Souzenelle – auteur du livre Le Féminin de l’être – avec la comédienne Juliette Binoche. Entretien paru dans Libé

« A. de S. : Je me suis posée la question des lieux du corps dans les textes bibliques. Pourquoi est-ce le talon d’Eve qui est blessé ? Pourquoi la hanche de Jacob ? Pourquoi les cheveux de Samson ? Etc. Quand j’ai été capable de lire le texte en hébreu, j’ai compris que tous ces mots du corps étaient chargés de sens, signifiant autre chose que ce qu’en a consigné et figé la traduction qu’on nous donne. C’est en défrichant à la lettre les lieux du corps que j’ai abordé le problème le plus important dans la Bible : la question du masculin et du féminin. Le mot mâle, en hébreu, c’est le verbe «se souvenir», et n’importe quel être, qu’il soit un homme ou une femme, porte en lui cette capacité à se souvenir. Le mot femelle en hébreu, c’est, d’une façon très crue, «un trou». Mais un trou qui est un abîme sans fond, c’est-à-dire toute la transcendance de l’être. En même temps, c’est le mot qui veut dire aussi «le blasphème» : si je m’arrête à un moment donné dans cette expérience de l’abîme, et que je la fige en une signification idolâtre, alors je blasphème. Il faut donc que j’aille toujours plus loin en moi, toujours plus loin…

J. B. : Ne pas s’arrêter, jamais…

A. de S. : Le féminin porte dans sa définition biblique cette fonction spirituelle intense, continue, intrépide, et cela n’est pas du tout passé dans les traductions de la Bible des Septantes, celles qui ont servi de base aux catholiques. Tout être humain est appelé à aller vers lui-même, à descendre dans ce «trou» : il fait à la fois oeuvre mâle (il se souvient) et oeuvre femelle (il s’ouvre à lui-même), ce qui réconcilie ce qui a toujours été séparé. Il nous faut épouser tous les éléments qui sont dans cet abîme et restent des énergies inaccomplies. Car nous sommes tous enceints du divin. »

« J. B. : J’ai souvent l’impression, en vous entendant, d’avoir fait l’expérience physique de ce que vous décrivez comme une expérience spirituelle. Il y a eu mes cauchemars de petite fille, mais aussi, par exemple, une expérience physique du trou. Il y a quelques années, j’ai voulu visiter la grotte de Marie-Madeleine, à la Sainte-Baume. Elle était fermée pour travaux, alors je suis allée dans une autre, à un quart d’heure de marche, la «grotte aux oeufs». Il fallait d’abord traverser une forêt d’ifs, de hêtres et de chênes, trois heures de marche extraordinaires. Puis, face à la grotte, qui est comme un sexe féminin, une quinzaine de mètres de hauteur, une fente dans la roche, je me suis mise à rire et à pleurer en même temps. C’était insoutenable, de peur et de joie, d’être face à un tel abîme. Même avec une lampe de poche, je ne pouvais plus avancer, je n’arrivais pas à descendre. Mais j’avais écrit une lettre, importante pour moi, que je voulais placer au fond. C’était un voeu. Petit à petit, je suis descendue. Arrivée en bas, je me suis sentie extrêmement bien, comme dans l’utérus de la terre. J’ai déposé ma lettre avec joie, c’était une libération.

A. de S. : Cette plongée dans le sexe de la terre fut votre expérience du «trou» mystique. C’est beau, émouvant, le signe que vous pouvez aller loin dans votre vie intérieure. C’est au plus loin possible qu’existe le noyau divin qui nous donne vie. »

site web d’Annick de Souzenelle : souzenelle.free.fr

[Même si personnellement je n'adhére pas vraiment aux bondieuseries d'aucune sorte, je dois reconnaître que l'approche d'Annick de Souzenelle n'est pas sans intérèt... en revanche, sa position concernant le mariage homosexuel me semble un peu superficielle ! « Toutes les traditions du monde s’accordent à contempler l’union des contraires, celle du ciel et de la terre, respectivement pôles mâle et femelle » : ne pourait-elle pas songer un instant que l’union homosexuelle, au-delà de l’identité biologique du sexe des contractants, respecte intimement l’opposition dont elle parle ? La terre n’est contraire au ciel, elle est complémentaire !

Comments are closed.