Vision de Notre Dame

On réduit trop facilement Notre-Dame de Paris, le roman de Victor Hugo, à l’improbable relation de Quasimodo avec la délicieuse Esmeralda… les choses sont pourtant un peu plus complèxes que ce rapide résumé dont la mémoire d’une lecture lointaine garde la trace . Quatre personnages sont en effet en lices pour les beaux yeux d’Esmeralda : outre Quasimodo dont il n’est pas nécessaire de rappeler la repoussante laideur1, viennent encore se placer dans le carré magique qu’ils dessinent, le poète philosophe, Pierre Gringoire2, le sombre Claude Frollo3 et enfin le beau Phoebus4. Comme l’explique Victor Hugo pour Quasimodo, « Il y avait une logique dans sa nature » : il y en a aussi une qui, expliquant la nature des trois autres protagonistes, révèle leur secrète complémentarité dans leur opposition. Logique que j’ai visualisé par le tableau suivant, dans lequel semble s’inscrire toutes les possibles combinaisons de la nature humaine parmi lesquelles le désir doit fait son choix :

  esprit (intelligence) corps (beauté)
positif
(lumière, visible)
Pierre Gringoire Phoebus
négatif
(nuit, caché)
Claude Frolo Quasimodo

 

En marge de ce tableau, l’innocente Esmeralda, objet de leur désir… là encore, il faut remarquer comment les choses se répartissent : on sait que Quasimodo enlacera éternellement Esmeralda dans son tombeau, mais l’on oublie que cette dernière se maria avec Gringoire (afin, il est vrai, de le sauver des truands de la cour des miracles), alors qu’elle aime éperdument ce goujat de Phoebus, mais finalement, c’est Claude Frollo qui, selon toute vraisemblance, obtiendra sa virginité… en la violant5 !  Un croisement s’opère qui apparie, au-delà des apparencesPhoebus à Claude Frollo et Gringoire à Quasimodo, les uns dans le mal dont ils sont capables, et les autres dans le bien dont ils font preuve. 

Vision de Notre Dame
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1 [Quasimodo] – « La grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne était une grimace. » « Il est certain que l’esprit s’atrophie dans un corps manqué. Quasimodo sentait à peine se mouvoir aveuglément au-dedans de lui une âme faite à son image. Les impressions des objets subissaient une réfraction considérable avant d’arriver à sa pensée. Son cerveau était un milieu particulier : les idées qui le traversaient en sortaient toutes tordues. La réflexion qui provenait de cette réfraction était nécessairement divergente et déviée. De là mille illusions d’optique, mille aberrations de jugement, mille écarts où divaguait sa pensée, tantôt folle, tantôt idiote. Le premier effet de cette fatale organisation, c’était de troubler le regard qu’il jetait sur les choses. Il n’en recevait presque aucune perception immédiate. Le monde extérieur lui semblait beaucoup plus loin qu’à nous. Le second effet de son malheur, c’était de le rendre méchant. Il était méchant en effet, parce qu’il était sauvage; il était sauvage parce qu’il étaid laid. Il y avait une logique dans sa nature comme dans la nôtre. »

2 [Pierre gringoire] – « Véritable éclectique, comme on dirait aujourd’hui, Gringoire était de ces esprits élevés et fermes, modérés et calmes, qui savent toujours se tenir au milieu de tout – stare in dimidio rerum – et qui sont pleins de raisons et de libérale philosophie [...] »

3 [Claude Frollo] – « Comme Claude Frollo avait parcouru dès sa jeunesse le cercle presque entier des connaissances humaines positives, extérieures et licites, force lui fut, à moins de s’arrêter ubi defuit orbis, force lui fut d’aller plus loin et de chercher d’autres aliments à l’activité insatiable de son intelligence. L’antique symbole du serpent qui se mord la queue convient surtout à la science. Il paraît que Claude frollo l’avait éprouvé. plusieurs personnes graves affirmaient qu’après avoir épuisé le fas du savoir humain, il avait osé pénétrer dans le nefas. Il avait, disait-on, goûté successivement toutes les pommes de l’arbre de l’intelligence, et, faim ou dégoût, il avait fini par mordre au fruit défendu. »

4 [Phoebus] – « A côté d’elle se tenait debout un jeune homme d’assez fière mine, quoique un peu vaine et bravache, un de ces beaux garçons dont toutes les femmes tombent d’accord, bien que les hommes graves et physionomistes en haussent les épaules. » « D’ailleurs, il était d’humeur inconstante et, faut-il le dire ? de goût un peu vulgaire. Quoique de fort noble naissance, il avait contracté sous le harnois plus d’une habitude de soudard. La taverne lui plaisait, et ce qui s’ensuit. Il était à l’aise que parmi les gros mots, les galanteries militaires, les faciles beautés et les faciles succès. » « Du reste, tout cela se mêlait chez lui à de grandes prétentions d’élégance, de toilette et de belle mine. »

5 « Au moment où ses yeux se fermaient, où tout sentiment se dispersait en elle, elle crut sentir s’imprimer sur ses lèvres un attouchement de feu, un baiser plus brûlant que le fer rouge du bourreau. »

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